QUESTIONS À UN CHAMPION

QUESTIONS À UN CHAMPION

GEORGES BARBOTEU

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GEORGES BARBOTEU

 

 

 

 

Georges Barboteu, personnage entier et attachant, gardera à jamais chez les cornistes une place de choix, de par ses enregistrements singuliers et ses compositions. L’ayant modestement succédé au conservatoire du Centre à Paris, puis dédicataire de son Triptyque, je le vois en ange gardien. D’où le besoin de lui rendre hommage, mais au vu de l’épaisseur de sa personnalité, il m’est apparu nécessaire de multiplier les angles de vue afin d’appréhender la richesse d’un homme hors du commun. Aussi, j’ai réuni autour de moi un panel de cornistes représentatifs de son mandat au conservatoire supérieur (1969-1989). Georges Barboteu nous quittait il y a près d’une quinzaine d’années, laissant un vide incommensurable dans le paysage musical. Puisse la lecture de ces témoignages commémorer la mémoire de son génie. Nul doute que le maître sera une fois encore fier de ses élèves, qui le lui rendent bien! Pardon à tous ceux qui n’ont pas pu s’exprimer…

 

 

Pascal Proust, qu'est-ce qui te manque le plus dans l'absence de Georges Barboteu aujourd'hui? 

S’il y a bien une facette de Georges Barboteu qui nous manque, c’est l’homme. Une carrure imposante, une voix que l’on écoute, une aura singulière. L’homme avec lequel j’ai beaucoup voyagé, passé des soirées inoubliables… Humour, bienveillance, ouvert à tous les sujets.
Bien sûr, le musicien hors norme se rappelle également souvent à ma mémoire, notamment lorsque j’enseigne.

Pour de nombreuses oeuvres ou compositeurs, son érudition ponctuée de petites phrases, anecdotes, jolis mots et conseils ressurgissent à tout moment. Il m’arrive très souvent de transmettre ces idées…

 

 

Pascal Scheuir, tu as entretenu une amitié qui t'as amené à lui rendre visite en Corse. Est-ce que cette proximité ne te mettait pas davantage de pression pour ne pas le décevoir?

Ah la Corse! En fait, je l’ai croisé par hasard à la pharmacie de Sagone en Août 1998. Il m’a immédiatement invité chez lui, certainement heureux de retrouver ainsi un corniste. Moi ravi de revoir le Maître (car élèves, nous l’appelions ainsi) que je n’avais revu depuis 1992. Mais de risquer de le décevoir relevait plus du passé, quand toi (Hervé) et moi étions au conservatoire des Halles et tentions d’entrer dans sa classe au CNSM au début des années 1980. En fait si j’ai pu le décevoir c’est encore plus tôt, une déception réciproque d’ailleurs. J’avais eu la chance de «monter» à Paris et lors d’une prestation de ma part dans sa salle de cours au bâtiment Édimbourg devant tous les élèves de sa classe au CNSM j’avais pu lui montrer comment je jouais le Morceau de Concert de Saint-Saëns. J’étais très jeune et très intimidé par ces cornistes passés avant moi et leur son fantastique. Georges Barboteu m’avait alors proposé à travailler avec lui ce que, venant de Nancy je n’avais pu faire.

C’est quelque chose que je regretterai toute ma vie. Mais de cette impossibilité est né un lien particulier qui nous a fait nous reconnaitre comme «amis» et nous avons donc partagé plusieurs verres de l’amitié dans sa maison corse où il se sentait bien seul depuis que ses deux partenaires musicaux, Jean-Pierre Rampal et Pierre Petit avaient déserté ce rocher qu’ils s’amusaient à nommer «Lâtouf».

Georges Barboteu était un personnage chaleureux et je ne doute pas qu’il ait accordé son amitié à nombre de cornistes, mais ma jeunesse lors de notre première rencontre et les quelques années de travail dans sa classe du conservatoire des Halles m’ont rendu redevable d’une sorte de filiation culturelle qu’il nous avait transmise autant avec son enseignement que par la truculence de ses histoires divertissantes. Par la suite dans la classe d’André Cazalet, je me suis attaché à présenter chaque semaine 2 de ses «Études Concertantes» et j’ai eu sa pièce pour cor seul «Fa 7» à défendre lors de mon prix. Puis quand nous avons présenté, Jean-Luc Casteret, Philippe Gallien, Xavier Agogué et moi pour la première fois dans l’histoire du CNSM, un quatuor de cors lors du prix de musique de chambre. Il s’est particulièrement intéressé à l’avenir de cette formation en me proposant d’ouvrir ses archives personnelles. Malheureusement la réussite professionnelle des membres du quatuor et sa maladie ont eu raison de ces élans.

Alors oui, et certainement comme beaucoup d’autres, je ne voulais pas le décevoir, il me semble avoir quelque peu réussi en parvenant à entrer au CNSM et à devenir cor-solo de l’orchestre de Montpellier. Georges Barboteu faisait partie de cette école française (comme Pierre Pierlot) qui défendait un jeu au timbre coloré et à l’expressivité libre. S’il est une déception que je ressens, c’est bien celle de ne pouvoir exprimer ce jeu à l’orchestre, Barboteu était un visionnaire, il a su enseigner au-delà de sa propre expérience, mais ne renonçait cependant pas à cette identité française que peu d’entre nous peuvent encore défendre.    

Grâce à ta question Hervé, je suis heureux de pouvoir me souvenir de lui et de perpétrer sa mémoire.

 

 

Eric Brisse, tu venais de ta Picardie quand tu es «monté» à Paris. On connais tous les grandes qualités musicales de Georges Barboteu mais que t’a-t-il apporté dans le domaine de la musique du XXème siècle ou bien sur le plan technique?

Le 1er congrès du Cor, organisé par l'Association Française eut lieu à Amiens en 1976. J'avais 15 ans, et déjà quelques vinyles de concertos pour Cor. Georges Barboteu a régné en Maître unique et absolu sur la vie cornistique parisienne et sur l'école de Cor en France car il n'y avait qu'un conservatoire supérieur et un seul professeur, sans assistant. Dans les années 70 et 80, toutes les «affaires» passaient par lui, il recevait les propositions qu'il honorait ou distribuait à son réseau. Mon histoire est liée à celle de Barboteu, car entré au conservatoire d'Amiens pour y apprendre le piano, je délaissais rapidement cet instrument pour le Cor. Au conservatoire d'Amiens mon 1er professeur fut Camille Merlin, corniste, harpiste et excellent pianiste, également accompagnateur au CNSM de la classe de Georges Barboteu. Ce que Mr Merlin entendait (également grâce à ses acquis de corniste), il nous en faisait profiter.
Dès que je fus en âge de jouer le 1er concerto de Mozart à Amiens, ce fut avec les indications de Barboteu, accompagné par Camille Merlin, qui jouait pratiquement au piano tout par cœur. Quelle chance!
En 1982, sous les drapeaux à la Musique de l'Air du Bourget, j'entrai dans la classe de Maître Barboteu, au CNSM rue de Madrid, suivant les pas de mon frère Hervé, qui y avait fait ses études au tuba dans la classe de Maître Paul Bernard. Au 2nd tour, j'avais joué le concerto d’Henri Tomasi (1er & 2ème mouvement). Assurément, Georges Barboteu était en haut de la pyramide, tant comme corniste, Maître de l’école de Cor Française, que pédagogue. Ses conseils étaient écoutés et respectés. Tous ses élèves ont été marqués par ce personnage «haut en couleur» et utilisent toujours ses conseils. Tant d’anecdotes seraient à raconter… A cette époque, les élèves avaient sûrement moins de liberté d’expression musicale, mais le Maître respectait notre sonorité, notre jeu propre. Jamais il nous a demandé de changer de matériel. Georges Barboteu était un peu comme d’autres grands maîtres de son époque, il finalisait un enseignement déjà bien avancé en région. On a toujours l’habitude de dire, que les élèves qui intègrent les établissements supérieurs jouent aussi bien que ceux qui en sortent. Si c’est vrai souvent techniquement, le travail n’est jamais abouti et chaque professeur apporte et transmet son savoir, sur sa vision esthétique des oeuvres (techniques et du répertoire). Concernant Barboteu, il était compositeur, et mélodiste, plus dans la lignée de Bozza ou Busser que des grands maîtres de la musique contemporaine Messiaen ou Boulez. Les pianistes accompagnateurs sont unanimes à dire que les parties de piano de Barboteu sont «pianistiques». Les œuvres de Barboteu sont toujours très enseignées et jouées car elles parlent au public, elles sont toutes très mélodieuses. Le meilleur exemple est: Saisons, qui emporte très vite l’auditeur dans un environnement bucolique et pastoral. Il s’est tout de même essayé à l’écriture plus contemporaine, toutefois, avec retenue. On sent dans ses pièces qu’il n’a pas envie d’aller jusqu’au système aléatoire. Les pièces les plus emblématiques de cette approche de Barboteu sont: Fa7 pour cor seul - Pièce pour Quentin pour cor et piano - Limites pour cor et orchestre - Astral pour quintette de cuivres et métronome. J’ai eu la chance de travailler Pièce pour Quentin (à Michel Cantin), avec lui, et de la rejouer avec le pianiste Nicolas Dessene, lors du concert en son hommage qui fut organisé autour de lui peu avant son décès. Un peu à la manière d’Alpha de J.M. Defay, la pièce commence par une cadence. Il emploie les sons bouchés, technique qu’il maîtrisait parfaitement (ainsi que celle des sons voilés) le flatterzunge, qu’on retrouve dans d’autres pièces, les trilles et les glissandi. Mais la plupart du temps, il revient à l’emploi de la sonorité large des belles notes du cor. Il préférait «le son du cor pastoral et romantique» avec un vibrato léger et contrôlé, plus sur l’intensité, qu’évidemment la justesse, avec du portamento dans les liaisons montantes des grands intervalles. Le compositeur s’essaye aux double sons, au slap, au vibrato, au double détaché, au glissando, au son bouché, une palette de nuance extrême et un ambitus important. Toute la technique moderne en 6 lignes! Mais pour Barboteu qui avait compris et bien servi ce genre musical, elle restait pour lui, Etrange…

H.J.: référence au 1er mouvement de «Fa7»

 

 

André Cazalet, nommé cor solo de l’Orchestre de Paris puis professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique, vous êtes la personnalité qui a en quelque sorte «remplacé» Georges Barboteu. Malgré une évidente admiration pour son poulain comment a-t-il vécu ce moment aussi bien à l’Orchestre qu’au Conservatoire?

En 1979, Georges Barboteu a quitté son poste de cor solo de l’Orchestre de Paris pour pour prendre au sein de cette formation le poste de quatrième cor laissé vacant par Robert Navasse partant en retraite. J’ai concouru en septembre de cette même année pour lui succéder et ai été engagé par Daniel Barenboim. Dès janvier 1980 j’ai eu le privilège de partager le pupitre de cor avec mon Professeur durant neuf années.
En 1985, Marc Bleuse, alors Directeur du CNSMDP, souhaitant ajouter une demi classe supplémentaire de cor au sein de l'institution m’a proposé d'en être le professeur, poste que je n’ai accepté bien sûr qu’avec l’approbation de Monsieur Barboteu. Je lui ai succédé sur concours à son poste de Professeur à temps complet en 1989, pour l’anecdote Hermann Baumann était le Spécialiste invité membre du Jury de recrutement.
Dès notre rencontre durant l'été 1974 à l’Académie Internationale d’été de Nice puis durant toute ma scolarité et nos activités professionnelles, je crois que le Maestro a eu pour moi une affection que je pourrais qualifier de particulière, de mon côté, je lui ai toujours et avec la plus grande sincérité manifesté mon admiration, mon affection et ma fidélité indéfectible. Son changement de poste au sein de l’Orchestre de Paris bien que murement réfléchi l’a beaucoup affecté, mais sa joie de continuer à jouer au sein de l’orchestre ne s’est jamais démentie jusqu’à l’heure de la retraite, il se disait fier que ce soit l’un de ses élèves qui lui succède. Par ailleurs il continuait de tenir le poste de 1er cor avec Les Philharmonistes de Châteauroux entouré de ses amis du Quintette de Cuivres Ars Nova. On peut également affirmer que cette tâche de responsabilité allégée lui a permis de son consacrer plus intensément à la composition. Pour terminer, permettez moi de le citer: « On ne choisit pas, on est choisi…» illustration s’il en faut de son extraordinaire pragmatisme.

 

 

Isabelle Bourgeois, tu es entrée au Conservatoire Supérieur de Paris vers l’âge de 13 ans et demi, faisant de toi peut-être la plus jeune de tous les temps. Comment l’enfant à fait face à l’impressionnant et mature Georges Barboteu?

Cette période est tellement lointaine qu’il m’est difficile de me la remémorer! Étant si jeune, je n’étais pas très consciente de la personne que j’avais en face de moi (maître Georges Barboteu). Donc j’ai vécu cela un peu comme une gamine de 14 ans qui n’est pas finie, il est clair que je n’avais pas la notion de ce que Mr Barboteu représentait. J’essaye de chercher au fond de ma mémoire, de mon ressenti, de mes sensations, j’ai aussi beaucoup occulté cette période parce que par la suite, j’ai eu des préoccupations instrumentales. En temps normal à 14 ans tu es encore cadrée chez tes parents, dans mon cas c’était la découverte de la vie, c’était la liberté totale, car j’ai eu des parents qui ne m’ont pas trop trop brimée (pas du tout d’ailleurs!). Par rapport à maître Barboteu, en fait c'est après coup que j'ai réalisé que j’étais avec un grand Monsieur. Il a toujours été très très discret, au point que je regrette qu’il ne nous ai pas davantage parlé de ses enregistrements. C’est ensuite que je me suis renseignée sur sa discographie et sa carrière, mais il ne parlait pas lui-même de son passé de corniste. C'était une grande personnalité, et je n’étais pas consciente de tout ce que cela représentait. À cette époque j’étais très sûre de moi, vieillir nous fait prendre conscience de beaucoup de choses… Il m’impressionnait c’est évident mais malheureusement pas assez, j’étais sa chouchoute, j'étais choyée de part et d’autre dans la classe. D’autres ont eu certainement un ressenti plus affirmé selon leur maturité. Quand j’ai lu ta question cela m’a fait tout drôle, j’aimerais revenir en arrière pour pouvoir revivre cela et réaliser à quel point ce fut une immense aventure de connaître Mr Barboteu.

 

 

Michel Coquart, comme chacun sait, Georges Barboteu est un immense compositeur. Tu es allé travailler à ses côtés pour préparer l'enregistrement de «Saisons», as-tu trouvé un créateur sachant exactement ce qu'il voulait ou plutôt un homme ouvert aux propositions? 

Pour parler de Georges Barboteu, ça été pour mon épouse et moi un grand honneur de croiser son chemin. Bien qu'ayant été l'un de ses derniers élèves, notre contact ou notre relation passait largement la barrière de: «Maître». Nous habitions le même quartier dans le 17ème arrondissement de Paris à quelques dizaines de mètres l'un de l'autre, nous nous croisions à la supérette ou chez les petits artisans du quartier, nous prenions le café ensemble... Lorsque Yoshiko et moi avons réalisé notre 1er Cd, nous voulions rendre hommage à Georges Barboteu et avons fait le choix d'enregistrer Saisons. En le rencontrant de temps en temps, nous avons vraiment découvert un grand homme certes mais aussi un homme simple, amusant, toujours une petite anecdote au bout des lèvres. Le choix de Saisons était pour nous un peu le reflet de son caractère, de sa personnalité, un peu la face cachée de Georges Barboteu, celle qu’il réservait à ses amis. Avant d'enregistrer, nous avions demandé à Georges Barboteu de nous écouter. Lorsqu'il est venu chez nous, à notre grande surprise, il n'a pas souhaité s'installer dans la salle où se trouvait le piano à queue, où j'étais également. Il nous a demandé de l'installer dans l'entrée de notre appartement, car disait-il, ce n'est pas la musique que je veux entendre,  plutôt me fondre dans l'ambiance de Saisons. Et c'est ainsi qu'il nous a décrit ses saisons, fait part de quelques images, expliqué comment il a imaginé les différentes saisons. Par exemple la Sologne pour l'automne, les gouttes d'eau, le crépitement du feu, pour l'hiver, les premiers rayons de soleil du printemps, l'esprit de fête avec les copains pour l'été, c'est ainsi qu'il nous a guidé dans notre préparation, il ne nous a rien imposé, il nous a laissé toute la liberté d'interprétation et quand on connaît le grand interprète et le talentueux compositeur, nous pouvons dire que c'était un grand homme, très respectueux. Ce fut pour nous un immense bonheur de l'avoir rencontré.

 

 

Jacques Deleplancque, le maître t’as écrit la pièce «Fa7», qui est plutôt d’inspiration moderne. Étais-tu déjà à l’Ircam ou est-ce toi qui l’a orienté vers un style contemporain? (pièce pour cor seul en 5 mouvements: Étrange, Volubile, Monologue, Chanté, Enjoué).

Georges Barboteu m’avait annoncé, avec sa joie de vivre habituelle, qu’il souhaitait me faire plaisir en m’écrivant une pièce. J’étais à cette époque soliste à l’Ensemble Intercontemporain, et je lui ai donc suggéré de m’écrire une pièce à caractère très contemporain… Après quelques mois, il m’appelle et me dit: «mon chaton, j’ai fini d’écrire ta pièce, il faut que tu passes me voir pour que je puisse te l’offrir…» J’étais très heureux et fier de ce cadeau… quand j’ai découvert «Fa7», je me suis vite aperçu que seule la 1ère pièce était à caractère contemporain… j’étais en fait très triste car j’aurais aimé créer «Fa7» dans les concerts prestigieux de l’Ensemble, ce qui m’a été refusé par Pierre Boulez étant donné l’écriture pas assez contemporaine. Je n’ai jamais crée cette pièce officiellement et je le regrette.   

 

 

Jean-Pierre Cenedese, tu fus l’étudiant de Georges Barboteu au CNSM de Paris dans ses ultimes années, des années riches d’une grande maturité. Était-il alors sûr et définitif dans ses propos ou bien à la recherche d’un idéal restant à atteindre?

Jeune étudiant fraichement diplômé du conservatoire de Toulouse dans la classe de Gilles Rambach, le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris était l’institution qui me faisait rêver et, lorsque j’ai eu la chance d’y être admis, j’ai eu l’impression d’être accueilli au paradis. J’allai enfin rencontrer le professeur de mon professeur, Georges Barboteu, ce grand artiste dont l’aura ne pouvait laisser personne insensible. J’allai pouvoir l’admirer et le voir toutes les semaines et ce, durant trois années. À la classe nous l’appelions «maître», c’était une forme de respect et de reconnaissance mais aussi une manière pour nous de lui montrer que nous voulions faire partie de son entourage, presque sa famille. Son enseignement, basé sur la générosité, l’émotion, la délicatesse et la subtilité, était arrivé à une telle maturité que la musique n’était plus qu’un prétexte, il voulait faire de nous des artistes complets. Ses cours et ses discussions nous emplissaient de joie et nous donnaient la force de persévérer dans les moments difficiles. Bien qu’il nous appelait «mes chatons», il nous considérait comme des adultes et nous poussait à réfléchir à notre future carrière. Je pense personnellement qu’il souhaitait nous transmettre ce feu sacré qui l’habitait, cette joie de vivre, toujours donner du plaisir. Ce respect du métier de musicien avec son lot de bonheur, comme un fil rouge qui nous guiderait tout au long de notre carrière mais aussi de notre vie. Il a su nous transmettre les «codes» dans un univers que nous connaissions très mal (surtout moi venant de province). Je m’aperçois qu’aujourd’hui il n’y a pas eu un moment tout au long de ma carrière où je n’ai pas restitué consciemment ou inconsciemment l’enseignement que j’ai reçu de sa part. Merci Maître.

 

 

Vincent Léonard, tu es un éminent «cor aigu». Georges Barboteu t’a-t-il aidé et encouragé dans cette voie, ou bien son enseignement complet t’a-t-il permis de décider seul ensuite dans quel registre tu voulais t’exprimer?

J'ai rencontré Georges Barboteu en 1984, à l'âge de 14 ans lors d'un stage d'été à Dignes avec le quintette Ars Nova. Il m'a beaucoup encouragé et m'a dit que j'avais tout pour devenir un grand corniste... et qu'il m'attendait dans sa classe au CNSMDP! J'ai un souvenir ému des séances de technique tous assis autour du Maître, il faisait les gammes avec nous mais une tierce au dessus! Il était passionnant, toujours inspiré, cette envie de toujours faire de la belle musique qu'il a su nous transmettre, m'a donné une flamme que j'ai toujours gardée en moi! 

Et naturellement, bien plus tard, ayant toute la tessiture de l’instrument, j'ai choisi d'être cor aigu, c'est la tessiture la plus chantante de l'instrument où l'on peut s'exprimer le plus librement sans inertie et c'est également celle des plus beaux thèmes écrits pour notre instrument. C'est enfin une condition incontournable pour pouvoir faire une carrière de chambriste ou de soliste, il faut pouvoir tout jouer… ou presque!!!

N'oublions pas ces mots de Georges Barboteu: le cor est un instrument pastoral et romantique 

Merci à notre Maître qui nous a rendu la vie plus belle par sa musique, sa truculence et sa jovialité!

 

 

Jacques Peillon, outre les orchestres de chambre et symphoniques au sein desquels tu joues, tu es certainement celui qui est apparu dans le plus grand nombre de revues, de shows, de comédies musicales et de séances d’enregistrement. Georges Barboteu fut avant toi un pilier de ce métier des studios (cor et sifflet). Est-ce que cela t’a fasciné et développé en toi une attirance pour le monde de la variété?

Quand je suis arrivé à Paris, il y a avait de nombreuses séances d’enregistrements, on appelait ça «les phonos». Les cordes et les bois venaient souvent de l’Opéra de Paris, et les cuivres plutôt du monde de la variété. Les cors étaient souvent commandés par Georges Barboteu (orchestre de Paris) et Jacky Magnardi (opéra de Paris). Il y avait plusieurs «équipes». Ce qui m’avait frappé un jour à la classe (1979-1980), c’est que Georges Barboteu m’avait dit commander des cors pour 3 ou 4 séances chaque jour… sachant qu'à cette période, il y avait très souvent 4 cors par séance! C’est inimaginable à l'heure actuelle. Cette vie me faisait rêver. Le changement de style de musique, j'adorais ça… Mr Barboteu menait tout de front: cor solo à l’orchestre de Paris, musicien de studio, enseignant au Cnsm, et carrière de soliste. Mais lui avait encore un «truc» en plus! C’était un extraordinaire siffleur, et chaque fois qu’il y avait besoin de siffler un thème pour un phono (western etc…) c’est lui qu’on appelait! Cette vie de corniste tout terrain m'a toujours attiré grâce à des musiciens comme Georges Barboteu, mais aussi Daniel Dubar, Jean-Jacques Justaffré, et Patrice Petitdidier, à qui je dois beaucoup. Voilà c’était un temps où tous les cornistes travaillaient et pouvaient vivre sans problèmes en « free lance ».

 

 

Eric Sombret, ta classe est une des plus grande et belle d’Europe, que Georges Barboteu a-t-il apporté dans ton enseignement actuel?

Depuis ma 1ère rencontre avec Maître Barboteu (j’avais 16 ans), il m’a guidé à chaque moment important de ma vie de musicien, d’homme, et surtout de pédagogue. Tous mes élèves, depuis plus de 35 ans, ont parcouru toutes les magnifiques oeuvres laissées par Georges Barboteu. Des petites pièces pour cycles 1-2 en passant par ses pièces concertantes (les saisons, médium, etc.), sans oublier ses études (classiques et concertantes). Ma classe de cor du CRR du grand Avignon compte en effet 40 élèves. Georges Barboteu m’a apporté la régularité, la rigueur, l’amour de l’instrument. Grace à lui, ma classe est comme une famille. D’ailleurs ma salle se nomme «Georges Barboteu»…

 

 

Jean-Michel Tavernier, (ta modestie va en souffrir!) j’ai toujours entendu Georges Barboteu dire que tu étais un des plus doués qu’il ait connu... De fait, penses-tu qu’il t’ait beaucoup fait progresser, ou qu’il ait plutôt laissé exprimer tes qualités? En résumé fut-il avec toi un professeur autoritaire?

Autoritaire, certainement pas... je pencherai tout d'abord pour la seconde proposition, exprimer les «qualités» de chaque élève, mais il m'a néanmoins beaucoup fait progresser... musicalement, car il avait une grande culture du phrasé.
J'allais sur mes 17 ans lorsque j'ai connu «le Maître», une année au conservatoire du 4ème arrondissement à partir de septembre 1979 pour intégrer l'année suivante le CNSM de Paris. Nous étions 68 candidats au 1er tour, 3 sont rentrés avec moi: Jacques Peillon, Martial Prost et Pascal Proust.
Il avait toujours des anecdotes à raconter, on ne s'ennuyait jamais pendant ses cours...

 

 

Jean-Michel Vinit, tu fus des années durant collègue de pupitre de Georges Barboteu. Son naturel charisme allié à sa fibre pédagogue en faisaient-ils un collègue prégnant?

Quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu l’impression de rencontrer Lino Ventura ou Jean Gabin. Face à Georges Barboteu (j’avais les disques à la maison), j’ai vu un personnage très grand, très classe, en costume, j’ai eu le sentiment de voir quelqu’un de très important, charismatique, disons comme un acteur. Au pupitre, Georges Barboteu, je l’ai connu avant de rentrer au National en 1986, j’allais plutôt à l'orchestre de Paris. C’était une personne délicieuse, qui mettait beaucoup d’ambiance. J’étais concentré car j’avais l’impression que D. Baremboim me surveillait, (j’étais très jeune) et puis Georges me parlait, beaucoup, il me racontait ce qu'il allait manger le midi… J’étais un peu gêné, car je voyais que Baremboim m’avait à l’oeil, mais Georges était si drôle. Je tenais à dire un chose aussi, c'est que j’ai eu beaucoup d’élèves pendant toute ma carrière à Rueil Malmaison. Ils connaissaient Barry Tuckwell, Hermann Baumann, Dennis Brain, Peter Damm, ils connaissaient tout le monde… Et puis aussi les générations d’après dont tu fais partie. Tous les disques, ils les ont, ils les ont écoutés maintes fois, sauf que Georges Barboteu, son Weber, son Strauss, les gamins ne connaissent pas cela. Je trouve que c’est un peu injuste…

H.J.: peut-être à cause du fait qu'il s’agisse de disques vinyles? 

 

 

Jean-Michel Vinit, tu as joué divinement le 1er cor des Quartettos de G.B. lors d'une circonstance pénible à tous, ses obsèques. Le maître nous disait parfois « si un jour je meurs, je voudrais que l’on joue mes Quartettos! » Est-ce son esprit de légèreté, bon enfant, qui t’a aidé en cette épreuve à pouvoir jouer, sinon où as-tu puisé tes ressources? 

L’arrivée de la dépouille de Georges Barboteu, c’est vrai que c'était émouvant. Vous étiez derrière, je sentais ta présence, je sentais la présence d’André Cazalet et de plusieurs personnes. Il a fallu affronter ce moment, le fait d’avoir répété et joué avec les collègues habituels m’a aidé. Ce qui m'a animé à ce moment c’est d’abord un profond respect, car c'était quelqu’un de remarquable, tout le monde le sait. Je fus porté, car je sentais que c'était un moment important, parce qu’il m’était très cher. Georges Barboteu était une personne formidable, c’était la moindre des choses de bien jouer à ses obsèques.

 

 

Zhengqi Xiaowei Wei, tu fus son élève, que représente en Chine l’immense corniste Européen Georges Barboteu?

Ma première rencontre avec Georges Barboteu qui devint mon Maître, eut lieu à Shanghai en 1983. Lui et son quintette de cuivres, accompagnant le président Mitterand, firent leur première découverte de la Chine. Je me souviendrai toujours de ce qu’il me dit alors, concernant son impression de Pékin: «il pleuvait des vélos». Depuis presque 40 ans, ses interprétations, les grandes oeuvres pour cor que sont ses compositions, son langage musical unique, ses études très complètes et difficiles (aujourd’hui largement pratiquées dans les conservatoires Chinois), sont unanimement appréciés; Il sera toujours pour moi un modèle exceptionnel et une constante référence. Tous ceux qui ont eu l’occasion de travailler avec Georges Barboteu ou de le côtoyer restent impressionnés par ses grandes qualités humaines, son esprit libre et sa sensibilité musicale.   

 

 

Jean-Pierre Bouchard, tu es connu dans le métier pour tes qualités cornistiques, mais aussi ton grand sens de l’humour, de la dérision, et tu ne te fais pas prier pour créer l’ambiance. Outre ce qu'il t’a transmis musicalement, Georges Barboteu fut-il une révélation aussi sur ce plan?

C’est évident que musicalement, il s’imposait comme un maître. Et les cours n’étaient pas tristes, en étant toutefois sérieux!

Je peux ajouter que j’ai passé beaucoup de temps à travailler le fameux sifflet du maître, sans jamais l’égaler… mon chaton! Je me souviens d’une fois où en attendant G.B., on avait joué un concerto de Mozart au demi-ton. Il n’avait pas vraiment apprécié. Peut-on rire de tout? Oui, mais pas avec tout un chacun! Je pense avoir été son dernier Prix de Paris, en 1988.

 

 

Michel Cantin, tu fus je crois un des premiers étudiants de Georges Barboteu au Conservatoire Supérieur suite à sa nomination en 1969. Te souviens-tu d’un professeur cherchant, tâtonnant, essayant de façon empirique ou bien instinctif, déjà doté d’un naturel hors du commun s’agissant d’inculquer à autrui?

En effet, je suis rentré au CNSM, classe de Maitre Georges Barboteu, en fin d’année 1969. Je jouais sur un Selmer ascendant à pistons, avec un joli vibrato, un détaché très sec et très rapide (aussi véloce que le double des trompettistes!).

Mr Georges Barboteu m’a gentiment expliqué que le futur avec cette ancienne école ne m’offrirait aucun avenir. Il était très impressionnant, plein de gentillesse, de compréhension, de bienveillance envers les jeunes adolescents de 1968 que nous étions!

Il m’a fait prendre un cor à palettes: le 1er Courtois ascendant de cette génération: perce plus grosse, cor plus lourd, nouvelle embouchure, nouvelle technique... et en avant la musique!

Jamais il n’a hésité dans son travail. Son but: construire une école française qui tienne la route face aux écoles étrangères.
Tout ce qu’il disait était complété par des exercices: technique, tessiture, ouverture du son, du grave et naturellement, musicalité. Il savait ce qu’il donnait à travailler, pourquoi il le donnait et comment le mettre en oeuvre. Il parlait beaucoup d’homogénéité afin de construire de magnifiques pupitres d’orchestre.

C’était la très «grande classe» !
Ses collègues du CNSM (Jean-Pierre Rampal, Maurice André, Christian Lardé, Pierre Pierlot... )

m’ont souvent dis: "Tu as de la chance, c’est un immense artiste" .

Bravo ! Il a impulsé une école de cor qui aujourd’hui lui donne encore entièrement raison.

MERCI Georges!

 

 

JUIN 2020

 

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13/06/2020
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